L’étude des mutations de la rue marchande de la Dongpalane à Vientiane nous a rapidement conduit à la disparition annoncée des anciens villages et du marais de Nongchanh, et y a révélé l’organisation spatiale et sociale de groupes pour assurer leur (sur)vie. Face à la fragmentation et à la multiplication des contraintes et, d’une certaine manière, de nouvelles structures de contrôle, c’est par actions (désirs) et réactions (résistances) que s’élabore l’invention pragmatique de nouveaux espaces de vie.
Dans ce contexte, il a ainsi été essentiel de repérer les multiples « formes que prenait la création dispersée » (1). Par l’enquête de terrain, nous sont apparus des espaces singuliers du familier, des protocoles alternatifs d’échanges, des formes inédites de sociabilité et de voisinage, dont nous avons tenté de déduire, par une mise en perspective géographique et historique, les processus d’élaboration : assimilation, appropriation, recombinaison des modèles culturels endogènes et exogènes.
Comprendre ce qui se tramait nécessitait d’appréhender le territoire du quartier et de la ville comme un vaste écosystème. Mais la notion d’écosystème, dès lors qu’elle est empruntée à son champ disciplinaire et appliquée à l’Homme et à l’Urbain, ne peut plus être seulement définie comme l’unité de base formée par un biotope et une biocénose. L’amplification des interactions et des interdépendances, positives ou négatives, entre les pratiques humaines microscopiques et l’écosystème, support macroscopique de leur déploiement, ouvre celui-ci au principe des trois écologies (2).
L’exemple de Nong Chanh, étendue aquatique anthropisée, dissimulée au regard des passants de la rue commerçante, est à ce titre représentatif. Bien que loin d’agir sur un terrain qui leur était propre, les habitants du marais ont pourtant réussi, dans un contexte de manques (espace, ressources économiques, libertés individuelles), à injecter et développer sur un territoire considéré comme impropre à l’établissement humain leurs usages composés de détournements et d’ajustements permanents. Ce processus a abouti à l’invention dans la ville d’un quartier autre, un agencement singulier d’espaces et de pratiques complémentaires, lié directement au grand marché de Kuadinh, mais invisible depuis la Dongpalane.
(1) Michel de Certeau, L'invention du quotidien, 1980.
(2) Il existe « … trois registres écologiques, celui de l’environnement, celui des rapports sociaux et celui de la subjectivité humaine… » Félix GUATTARI, Les trois écologies, 1989.